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Le souvenir est lié à la mémoire par l’image : Un bassin d’oiseaux doublé des empreintes du façonneur, des personnages colorés et mythiques, une rivière ondulante de tissus chevauchée par un échafaudage en forme d’île. Guillaume Boudrias-Plouffe nous entraîne dans un monde d’images lointaines et étranges en même temps que contemporaines et familières.

La silhouette d’un bûcheron solitaire se dresse dans les confins de la mémoire et une histoire s’y greffe dont le statut, si elle est répétée suffisamment, s’apparentera à la légende héroïque. Le récit aux allures hagiographiques mêle l’événement avéré aux inventions les plus fantasques comme pour enraciner le souvenir. À la longue, le personnage se gonfle, s’amplifie et devient une sorte de dieu antique – quelque chose entre Hercule et saint Antoine – qui hante notre quotidien dans sa plus vulgaire routine. Les ingrédients y sont la chemise à carreaux, la tronçonneuse, la bûche de bois, éléments d’un travail colossal et légendaire, à la mesure de l’homme qui se confronte à la nature.

Il s’agit en fait d’histoires de pérennité qui annoncent, en quelque sorte, non seulement notre propre présence, mais surtout notre propre survie. Le grand-père, c’est toutes les générations qui nous précèdent, figure emblématique du temps passé, historique ou mythologique. Ti-Jean le fantôme, c’est Hermès, dieu de la diffusion, du passage et, de ce fait, d’une certaine forme de connaissance. Le discours étiologique – les mythes qui expliquent le cours des événements – reste d’une prime importance pour nous situer dans le temps, dans l’espace et dans la relation que nous entretenons avec l’autre. Dans cette entreprise, Guillaume Boudrias-Plouffe choisit le biais de la transmission culturelle comme d’autres auraient choisi celui des théories scientifiques. Une grand-mère relate à son arrière-petite-fille une série de mots et d’expression comme des substrats d’une narration qui constituerait la base d’un apprentissage nécessaire. La tournure folklorique n’a d’autre objet que d’ancrer le tableau. L’enfant devient le réceptacle d’un signifiant, chaînon dans une transmission de sens qui ne peut se faire que par l’appareillage d’un discours et d’une image. Un cercle de bûches devient le lieu du conteur, aède de nos traditions à nous, celles qui nous ont d’une manière ou d’une autre « sortis du bois », espace mythique par excellence ou se rencontre la bête sauvage et l’ermite dans un rite de force et de sagesse qui jongle immanquablement avec la folie. La portée du geste (de la geste ?) se noue dans l’association du dire et du montrer qui devient explication qui devient sens. Ne sommes-nous pas depuis toujours des bêtes de sens?

L’image du souvenir selon Guillaume Boudrias-Plouffe
2013

Texte de François Chalifour (mai 2013) pour l'exposition Toute faite à mitaine de laine d'acier au centre d'exposition L'Imagier.